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L'|Austérité selon Bayrou, un désastre annoncé
Bulletin : Alternatives économiques juin 2025
Le gouvernement français prévoit de présenter sa politique budgétaire d’ici au 14 juillet, avec pour objectif principal la réduction du déficit public à partir de 2026 et pour les années suivantes. En 2024, le déficit public s’élève à 5,8 %, qualifié d’« année noire » et « chaotique » par la Cour des comptes, qui insiste sur la nécessité de réduire ce déficit. Le Premier ministre François Bayrou affirme que la France dépense trop par rapport à ses recettes et privilégie une réduction drastique des dépenses publiques, rejetant toute demande de crédits supplémentaires, même pour des secteurs comme la défense, la transition énergétique, l’éducation, la recherche ou la dépendance.
La dette publique française devrait passer de 113 % du PIB en 2024 à 118 % en 2027, puis redescendre légèrement à 117 % en 2029, selon les prévisions gouvernementales. Malgré ce niveau élevé, les marchés restent confiants, proposant trois à quatre fois plus de financements que la France ne souhaite en emprunter, avec des taux d’intérêt à 3,2-3,4 % pour les obligations à dix ans. Cependant, la charge de la dette augmente : la France a payé 60 milliards d’euros d’intérêts en 2024, et la facture devrait atteindre 67 milliards en 2029. D’ici 2030, l’État devra renouveler 50 % de son encours de dette, soit 1 300 milliards d’euros, à des taux d’intérêt plus élevés.
Pour réduire le déficit, Bercy estime l’effort nécessaire à 110 milliards d’euros entre 2026 et 2029, dont 40 milliards dès 2026. Le gouvernement vise à ramener le déficit budgétaire de 5,8 % en 2024 à 2,8 % en 2029, ce qui représente un effort de 114 milliards d’euros pour un PIB de 3 000 milliards d’euros, soit environ 22 milliards d’économies annuelles sur cinq ans. Toutefois, le gouvernement souhaite accélérer l’effort avant l’élection présidentielle de 2027, avec un objectif de 30 milliards d’euros d’économies pour 2026. En 2025, 28 milliards d’euros d’économies sont prévus, dont 8 milliards proviennent de recettes exceptionnelles d’impôt sur les sociétés, qui ne seront pas renouvelées en 2026, portant l’effort à 38 milliards d’euros pour cette année.
Les économistes critiquent cette stratégie, estimant qu’une telle concentration de l’austérité en 2026 risque de casser la croissance, qui ne serait que de 0,4 % l’an prochain, avec un déficit restant à 5 %. Selon l’OFCE, les effets récessifs d’une baisse des dépenses publiques sont deux fois plus marqués que ceux d’une hausse des impôts, ce qui signifie que couper dans les dépenses freine davantage l’activité et creuse le déficit. Les nouvelles règles budgétaires européennes permettent pourtant d’étaler l’ajustement sur sept ans, mais le gouvernement choisit d’agir plus rapidement, ce qui pourrait faire monter le chômage à près de 9 % en 2026.
La moitié du dérapage des comptes publics s’explique par la baisse des prélèvements obligatoires depuis 2017, chiffrée à 60 milliards d’euros par la Cour des comptes. Le taux de prélèvements obligatoires en France est élevé, mais une étude de l’Institut des politiques publiques montre que les milliardaires français paient un taux d’imposition effectif deux fois moindre que le reste de la population. Une proposition de loi visant à instaurer un impôt minimum sur les ultra-riches, pour générer 20 milliards d’euros de recettes, doit être examinée au Sénat le 12 juin. Le gouvernement s’y oppose, invoquant le risque de fuite des riches et d’effondrement de l’investissement, des arguments jugés dépassés par de nombreuses études.
Des études internationales montrent que les politiques d’austérité accroissent l’instabilité sociale et politique : grèves, émeutes et violences augmentent à mesure que les coupes atteignent 3 % du PIB, soit l’ordre de grandeur de l’effort visé. L’austérité favorise aussi la montée des extrêmes, la polarisation politique et l’affaiblissement des institutions démocratiques, tandis que la redistribution vers les plus pauvres protège la démocratie.
En résumé, la stratégie du gouvernement français consiste en une réduction rapide et massive des dépenses publiques pour ramener le déficit de 5,8 % à 2,8 % du PIB d’ici 2029, avec un effort de 110 milliards d’euros sur quatre ans, dont 40 milliards en 2026. Cette politique, concentrée sur la baisse des dépenses et ignorant la possibilité d’augmenter les recettes, est critiquée pour ses effets récessifs, son risque d’augmenter le chômage à 9 %, et son potentiel à accroître l’instabilité sociale et politique. Les économistes recommandent un ajustement plus étalé dans le temps et une contribution accrue des plus riches pour éviter un « désastre annoncé ».
Date de publication
06/06/0001
Importance matérielle
pp.8-10