Aller au contenu principal

Erdogan tord l'économie turque dans tous les sens pour rester au pouvoir

Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir en Turquie depuis vingt-deux ans, a récemment ordonné l’arrestation de son principal rival politique, Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul et favori pour la présidentielle de 2028, provoquant une forte mobilisation populaire et inquiétant les investisseurs internationaux. Ce durcissement autoritaire s’inscrit dans un contexte de crise économique persistante depuis sept ans, marquée par l’incapacité du régime à redresser la situation. En février, les deux principaux dirigeants de la Tüsiad, la grande organisation patronale laïque, ont également été arrêtés pour avoir critiqué la politique d’Erdogan et dénoncé l’absence d’État de droit. Le parquet a requis jusqu’à cinq ans de prison contre eux, ce qui a alarmé les marchés financiers. Suite à l’arrestation d’Imamoglu, la livre turque a fortement chuté face à l’euro et au dollar, l’indice principal de la Bourse d’Istanbul a reculé de 15,6 % en une semaine, et les taux souverains sur le marché obligataire ont grimpé de plus de 500 points de base en un week-end, un record. Pour limiter la dépréciation de la livre, la Banque centrale a injecté près de 50 milliards de dollars, soit 70 % de ses réserves de change, et a relevé son taux directeur de 42,5 % à 46 % le 17 avril 2025. La crise économique turque trouve ses racines dans la crise mondiale de 2008-2009 et le resserrement des politiques monétaires à partir de 2013, qui ont mis à mal un modèle économique dépendant des financements internationaux. L’économie s’est enfoncée dans la crise en 2018, aggravée par la détérioration des relations avec les États-Unis et l’augmentation des droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium turcs. L’inflation a atteint 16 % en 2018, la livre a perdu 25 % de sa valeur en un an face à l’euro, et la croissance a chuté de 7,5 % en 2017 à 0,8 % en 2019. La population subit directement la hausse des prix, la baisse du pouvoir d’achat et l’augmentation de la pauvreté. Pour maintenir leur consommation, les ménages turcs recourent massivement au crédit à la consommation, ce qui fait bondir leur endettement. Les statistiques officielles sur la crise sont contestées pour leur opacité : en février 2025, l’institut Tüik annonce une inflation annuelle de 39 %, tandis que le groupe ENAGrup l’estime à 79,5 %. Erdogan et l’AKP sont tenus pour responsables de la crise, notamment pour avoir maintenu des taux d’intérêt bas malgré une inflation très élevée. En mai 2023, alors que l’inflation officielle est de 40 %, le taux directeur de la Banque centrale reste à 8,5 %. Après sa réélection en 2023, Erdogan nomme Mehmet Şimşek, ancien de Wall Street, au ministère de l’Économie, qui relève progressivement les taux jusqu’à 50 % en mars 2024. Au début des années 2000, Erdogan avait bâti sa légitimité sur ses succès économiques, profitant des fonds du FMI et de l’intégration européenne. Entre 2002 et 2007, le PIB par habitant croît de plus de 5 % par an, les infrastructures se modernisent et l’emploi informel recule. Cependant, cette croissance a surtout profité au grand capital : Koç Holding, le plus grand conglomérat turc, a presque triplé ses actifs en vingt-cinq ans. Les 10 % les plus riches ont vu leurs revenus exploser, tandis que les 70 % les plus pauvres ont vu leurs revenus stagner, proches du salaire minimum. La productivité du travail a été multipliée par 4,3 entre 1970 et 2020, mais les salaires réels n’ont jamais retrouvé leur niveau de 1970. L’AKP a promu des politiques procapitalistes tout en obtenant le consentement des plus pauvres grâce à un discours populiste, la distribution d’aides sociales, le clientélisme et le soutien des communautés religieuses. Le secteur du BTP a particulièrement bénéficié des commandes publiques. De son côté, Ekrem Imamoglu, à la mairie d’Istanbul depuis 2019, a également mis en place des politiques sociales qui ont élargi sa popularité au-delà de son électorat traditionnel. Après avoir mené une politique libérale et pro-business jusqu’à la fin des années 2010, Erdogan a refusé de relever les taux d’intérêt malgré une inflation dépassant 80 %, puis a adopté une politique de relance coûteuse pour assurer sa réélection en 2023. Une fois reconduit, il est revenu à une politique austéritaire et orthodoxe, augmentant fortement les taux pour tenter de regagner la confiance des investisseurs étrangers. Malgré ces revirements, il n’a pas résolu les problèmes structurels de l’économie turque ni répondu aux attentes de la population, et a choisi de renforcer la répression politique face à l’impasse économique.
Date de publication
06/06/0001
Importance matérielle
pp.46-49