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Les « Stablecoins », une arme au service des Etats-unis ?

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Les stablecoins, cryptomonnaies privées adossées à la dette américaine et indexées sur le dollar, sont devenus un instrument stratégique pour les États-Unis, notamment sous l’impulsion de Donald Trump et de ses alliés. Alors que la part de la dette publique américaine détenue à l’étranger est passée de près de 50 % en 2009 à 30 % aujourd’hui, les États-Unis cherchent à maintenir l’hégémonie du dollar à l’ère numérique. Plutôt que de lancer une monnaie digitale de banque centrale, Washington soutient le développement des stablecoins, qui permettent des transferts d’argent instantanés et à faible coût à l’échelle mondiale via la blockchain. Ces jetons numériques doivent être adossés à des réserves d’actifs sûrs et liquides, principalement des bons du Trésor américain ou des dépôts bancaires, afin de garantir leur stabilité. L’essor des stablecoins est perçu comme un moyen de générer une nouvelle demande mondiale pour le dollar et la dette américaine, les émetteurs devant détenir d’importantes réserves de dette publique pour inspirer confiance. Un rapport de Citibank estime que les émetteurs de stablecoins pourraient devenir, d’ici 2030, les plus gros détenteurs étrangers de dette américaine. Cette stratégie, qualifiée de « crypto-mercantilisme », délègue à des acteurs privés la diffusion mondiale d’un quasi-dollar numérique, renforçant ainsi l’attractivité du dollar tout en contournant les régulations internationales. Le Genius Act, projet de loi en discussion au Sénat américain, vise à offrir un cadre juridique souple et attractif aux émetteurs de stablecoins, tout en imposant une supervision minimale pour garantir leur stabilité. Ce texte, soutenu par des élus républicains et certains démocrates, est critiqué pour le risque de conflits d’intérêts, notamment par la sénatrice Elizabeth Warren. Elle dénonce une « crypta-corruption », soulignant que Donald Trump, ayant lancé sa propre cryptomonnaie, le USDI, en partenariat avec des acteurs financiers proches de son entourage, se retrouve à la fois président et régulateur de son propre produit financier. En quelques semaines, le USDI est devenu le cinquième stablecoin mondial en termes de capitalisation. Des enquêtes ont révélé qu’une société d’Abu Dhabi, dirigée par le chef du renseignement des Émirats arabes unis, aurait investi des milliards dans des plateformes utilisant le USDI, soulevant la possibilité d’une influence étrangère sur la politique américaine via les stablecoins. Parallèlement, l’intégration des stablecoins dans les écosystèmes des géants du numérique (GAFAM, X) pourrait massivement étendre leur usage dans les paiements, transferts, achats et micro-rémunérations, tout en posant des risques accrus de blanchiment d’argent si la régulation reste insuffisante. Une enquête du Sénat américain a déjà montré que la facilité de paiement sur X, propriété d’Elon Musk, a permis à des groupes sous sanctions internationales, y compris des organisations terroristes, de générer des revenus via la plateforme. L’offre mondiale de stablecoins a explosé ces dernières années, passant de moins de 50 milliards de dollars en 2019 à près de 200 milliards de dollars en juin 2025. Cette évolution illustre comment les cryptomonnaies, loin de l’idéal de décentralisation initial, deviennent un rouage du capitalisme et un instrument de luttes étatiques pour la domination économique, tout en exposant de nouveaux risques de conflits d’intérêts et de dérives réglementaires.
Date de publication
11/07/0001
Importance matérielle
pp.22-23