Retour vers le public pour le rail britannique
Bulletin : Alternatives économiques juillet 2025
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D’ici 2027, toutes les compagnies ferroviaires anglaises seront renationalisées, mettant fin à trente ans de privatisation du rail britannique, dont l’impact économique a été jugé désastreux. Le 25 mai, la South Western Railway a été la première compagnie reprise par l’État depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste de Keir Starmer en juillet 2024. La renationalisation, promesse de campagne des travaillistes, a été approuvée par le Parlement en novembre 2024. Le gouvernement attend l’expiration des licences des opérateurs pour transférer progressivement l’exploitation des lignes à une structure publique, le DFT Operator (Department for Transport Operator).
Deux tiers des Britanniques soutiennent cette mesure, selon un sondage YouGov de mars 2025. Le syndicat TSSA salue un « moment historique ». La privatisation, lancée en 1992, avait fragmenté l’industrie ferroviaire, autrefois intégrée sous British Rail, en une centaine d’entreprises distinctes, dont une trentaine d’opérateurs d’exploitation. Des entreprises étrangères, comme Deutsche Bahn (Arriva jusqu’en 2023) et Keolis (Southern), ont aussi participé au marché.
La privatisation a entraîné une hausse des coûts et une perte d’économies d’échelle. Selon le rapport McNulty de 2011, à partir de 1996-1997, les dépenses des opérateurs (infrastructure, crédit-bail, maintenance) ont augmenté de 4 milliards de livres par an. Le rail britannique est ainsi jusqu’à 40 % plus cher par passager-kilomètre que dans d’autres pays européens. Les subventions publiques ont triplé, passant de 2 milliards de livres en 1990 à 6 milliards de livres à partir des années 2000, alors que l’objectif initial était de réduire la part de l’État.
Les tarifs ferroviaires au Royaume-Uni restent parmi les plus chers d’Europe. Par exemple, les billets de la Great Western Railway coûtent 2,2 fois plus que la moyenne européenne. Entre juillet et septembre 2024, seulement 67,7 % des trains sont arrivés à l’heure. Les usagers font face à une grande complexité tarifaire et à des trains souvent bondés et en retard.
La privatisation a aussi eu des conséquences sur la sécurité. Des économies ont été faites au détriment de la maintenance, entraînant plusieurs accidents, dont celui de Ladbroke Grove en 1999 (31 morts), qui aurait pu être évité avec un système automatique de protection des trains (ATP), écarté pour des raisons de coût. Dès 2002, le gestionnaire du réseau, Railtrack, a été renationalisé sous le nom de Network Rail. Plusieurs compagnies privées ont fait faillite et ont été reprises par l’État. En 2020, le gouvernement Johnson a nationalisé les lignes du nord de l’Angleterre, notamment à cause de la baisse du nombre de passagers liée au Covid.
Avant l’arrivée des travaillistes en 2024, 40 % des lignes étaient déjà renationalisées. En Irlande du Nord, le rail est resté public, tandis qu’au Pays de Galles et en Écosse, il a été renationalisé en 2021 et 2022. Une nouvelle loi doit créer Great British Railways, structure intégrant gestion et exploitation du réseau, sur le modèle de la SNCF, pour améliorer la gestion, notamment sur les axes encombrés autour de Londres, Manchester et Birmingham.
Le gouvernement estime que la renationalisation permettra d’économiser entre 100 et 150 millions de livres, principalement en réduisant les coûts de gestion. Toutefois, la propriété des rames et le fret resteront privés, et certains opérateurs, comme Heathrow Express, conserveront une dérogation. Après la South Western Railway, la licence de c2c expirera en juillet, puis celle de Greater Anglia à l’automne. Les dernières concessions privées expireront d’ici 2027, avec transfert des contrats de travail à la tutelle publique.
Le secteur ferroviaire est en croissance : les voyages en train ont augmenté de 7 % au troisième trimestre 2024 par rapport à 2023. La RIA prévoit une croissance annuelle moyenne de 1,6 % dans les prochaines décennies, soit une hausse de 20 % des déplacements en train d’ici 2035, portée par la croissance économique, démographique et de nouveaux usages (plus de voyages le week-end). La deuxième ligne à grande vitesse, HS2, reliera Londres à Birmingham, mais sa mise en service n’est pas attendue avant 2030. L’opérateur Avanti West Coast sera repris par l’État en octobre 2026.
Les spécialistes préviennent que la renationalisation ne fera pas forcément baisser les prix des billets, qui resteront élevés. Les économies réalisées pourraient servir à réduire la dette publique plutôt qu’à diminuer les tarifs. L’intégration pourrait aussi menacer certains emplois en supprimant des doublons. Les bénéfices des compagnies publiques sont réinvestis, contrairement aux entreprises privées qui les reversent à leurs actionnaires, parfois étrangers.
Le secteur privé se tourne vers l’international : Virgin prépare une levée de fonds pour lancer, à partir de 2029, des trains à grande vitesse entre Londres, Paris et Bruxelles, concurrençant l’Eurostar. La question de l’organisation du rail, plus que de la propriété, reste centrale, comme le montre la réussite du privé au Japon. La bataille entre acteurs publics et privés dans le rail britannique se poursuit.
Date de publication
11/07/0001
Importance matérielle
pp.72-75