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Les Outre-mer en quête d'une difficile résilience alimentaire
Bulletin : Alternatives économiques juillet 2025
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La dépendance alimentaire des territoires d’outre-mer vis-à-vis des importations hexagonales est devenue un enjeu prioritaire, avec un objectif d’« autonomie alimentaire » fixé à 2030 par Emmanuel Macron lors de sa visite à La Réunion en 2019. Les crises récentes, telles que la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, ont accentué la nécessité de renforcer la résilience alimentaire de ces territoires. Les mouvements sociaux contre la vie chère, notamment en Martinique, ont mis en lumière l’impact de cette dépendance sur les prix alimentaires, qui sont de 30 à 42 % plus élevés que dans l’Hexagone. En Martinique, 67 % de ce différentiel de prix est attribué aux « frais d’approche » (taxes, logistique, marges des armateurs).
Selon l’Office de développement de l’économie agricole d’outre-mer (Odeadom), les importations agroalimentaires ont augmenté de 17 % en valeur et de 7 % en volume sur la dernière décennie. L’Agence de la transition écologique (Ademe) estimait en 2022 que le taux de dépendance alimentaire des Drom atteignait des niveaux inédits : 63 % pour la Guyane et 87 % pour la Martinique en volume. Cette situation s’explique par des contraintes géographiques (insularité, reliefs, forêts denses) limitant les terres arables, mais aussi par des facteurs sociaux, comme l’abandon des régimes alimentaires traditionnels au profit d’une alimentation « occidentale » dominée par les produits carnés et transformés.
L’agriculture d’exportation, héritage colonial, reste prédominante : à La Réunion et aux Antilles, la banane et la canne à sucre occupent plus de la moitié de la surface cultivée. Ces filières, bien structurées et pourvoyeuses d’emplois, captent plus de 60 % des 338 millions d’euros d’aides annuelles du programme Posei (278 millions financés par l’Union européenne, 60 millions par la France), alors que l’agriculture vivrière locale repose sur de très petites exploitations, souvent informelles, qui peinent à accéder aux aides publiques en raison de critères inadaptés et de la complexité administrative.
Les agriculteurs ultramarins font face à de nombreux obstacles : exposition accrue aux aléas climatiques (comme le cyclone Chido en décembre dernier à Mayotte), absence de remplacement de certains produits phytosanitaires interdits, et faiblesse du secteur agroalimentaire local, sauf à La Réunion qui bénéficie d’un marché de 900 000 habitants, soit plus du double de la population des autres Drom. Dans les autres territoires, la production locale est insuffisante et les filières commerciales trop peu structurées pour garantir un approvisionnement régulier à l’industrie de transformation.
Le foncier constitue un autre frein majeur. À l’exception de la Guyane, où le nombre d’exploitants croît avec la population, la Martinique et La Réunion ont perdu un cinquième de leurs exploitations agricoles en dix ans (recensement agricole 2020). Les terres laissées en friche sont souvent urbanisées ou requalifiées en zones naturelles. Un rapport sénatorial de 2023 alerte sur l’urgence à sauvegarder les terres agricoles, pointant des stratégies de propriétaires visant à requalifier leurs terres pour la construction, dans un contexte de « désordre foncier » marqué par des défaillances administratives et des successions complexes. Les sociétés d’aménagement foncier (Safer) manquent de moyens pour préserver le statut agricole des terres.
Malgré ces contraintes, des atouts existent, notamment pour les filières végétales. Selon le Cirad, en 2021, il suffirait d’augmenter de 764 hectares les cultures de fruits et légumes en Guadeloupe (soit 13,4 m² par habitant) pour substituer les importations par la production locale, un constat valable dans d’autres Drom. Des modèles agroforestiers traditionnels, comme le jardin créole ou mahorais, offrent des solutions résilientes face aux catastrophes climatiques. Les collectivités locales, malgré des difficultés budgétaires, s’engagent de plus en plus dans la promotion de ces modèles via la commande publique (restauration collective, labels, projets alimentaires de territoire).
L’intégration régionale reste limitée : selon l’Ademe, entre la moitié et 85 % des denrées importées proviennent de l’Union européenne, principalement de l’Hexagone, héritage de l’exclusif colonial. Quelques exceptions existent (riz d’Asie et légumes d’Inde ou de Madagascar pour La Réunion, échanges avec le Suriname pour la Guyane), mais les relations avec les marchés régionaux sont difficiles à mettre en place, en raison des habitudes et des normes européennes.
La question de l’accès à une alimentation saine est cruciale, alors que 33 % des Antillais, 75 % des Mahorais, 50 % des Guyanais et 40 % des Réunionnais vivent sous le seuil de pauvreté, et que la prévalence des maladies chroniques liées à la nutrition (hypertension, diabète) est élevée. Des pistes sont évoquées, comme le chèque alimentaire pour des produits locaux et durables (jamais mis en place) ou la sécurité sociale de l’alimentation, qui garantirait un revenu stable aux producteurs tout en tenant compte des fortes inégalités de revenus dans les sociétés ultramarines.
Date de publication
11/07/0001
Importance matérielle
pp.82-85