Disney, un siècle d'opportunisme
Bulletin : Alternatives économiques juillet 2025
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Après cent ans d’existence, Disney affiche une santé économique remarquable : au deuxième trimestre 2025, le chiffre d’affaires atteint 23,6 milliards de dollars, en hausse de 7 % sur un an, et le bénéfice net s’élève à 3,3 milliards de dollars. La diversification, entamée dès les années 1950, est au cœur de la stratégie du groupe, qui a transformé l’industrie du divertissement mondiale grâce à un modèle de production culturelle verticalement intégré. Les douze parcs d’attractions de Disney génèrent l’essentiel de la rentabilité : en 2024, ils ont rapporté 34,15 milliards de dollars, soit 59 % du bénéfice total. Disneyland Paris, première attraction touristique d’Europe, a toutefois vu son bénéfice chuter de 50 % en 2024, après une grève en 2023 pour de meilleures conditions de travail et une revalorisation des salaires. À l’international, la fréquentation reste forte malgré les tensions géopolitiques et le ralentissement économique. Un nouveau parc ouvrira entre 2030 et 2033 à Abu Dhabi, financé par le groupe émirati Mirai, Disney se contentant de superviser le projet et de percevoir des redevances, ce qui limite son risque financier mais expose la marque à des critiques concernant les droits humains aux Émirats arabes unis.
La croissance de Disney repose aussi sur l’acquisition de marques majeures : Pixar, Marvel, Lucasfilm. L’achat de Lucasfilm pour 4 milliards de dollars a été rapidement rentabilisé grâce aux recettes des nouveaux films Star Wars. Cependant, ces rachats ont eu pour effet de brider la créativité, notamment chez Pixar, où la liberté artistique a laissé place à un contrôle accru et à une obligation de rendre des comptes, selon d’anciens employés. La production cinématographique ne représente plus qu’une part marginale de l’activité : en 2024, les revenus issus des films (box-office, droits de distribution, etc.) ne comptent que pour 2,6 % du chiffre d’affaires global, loin de l’époque où l’animation était le cœur de l’entreprise.
Disney développe parallèlement des activités en contradiction avec certains messages de ses œuvres, comme le lancement en 2024 de son huitième paquebot de croisière, le Disney Adventure, long de 342 mètres et pouvant accueillir 6 000 personnes, alors même que ses films véhiculent des messages écologistes. Les croisières, les parcs à thème et les complexes touristiques sont désormais centraux dans la stratégie de Disney, qui organise le désir des consommateurs à travers le temps et l’espace, au service de la société de consommation.
La plateforme de streaming Disney+ connaît une croissance rapide, représentant 11,4 % du chiffre d’affaires en 2024. Au deuxième trimestre 2025, le nombre d’abonnés a augmenté de 1,4 million pour atteindre 126 millions, loin toutefois des 300 millions de Netflix. Cette progression intervient malgré une hausse des tarifs. En France, Disney+ a profité d’une renégociation de la chronologie des médias, avançant la fenêtre de diffusion des films à neuf mois après leur sortie (contre dix-sept auparavant), et a misé sur l’exclusivité en retirant ses contenus de Canal+.
Depuis les années 1990 et le succès du Roi Lion, Disney vit surtout sur son héritage et ses acquisitions, produisant principalement des suites et des remakes, comme celui de Blanche-Neige en 2024, qui a été très critiqué. Le discours des films Disney a peu évolué en un siècle, promouvant une vision idéalisée de l’individualisme et évitant toute critique sociale, tout en adaptant l’esthétique et la diversité des personnages. Après avoir mis en avant l’inclusivité, Disney a récemment changé de cap, notamment depuis la réélection de Donald Trump : les messages d’avertissement avant les films sont abrégés et le programme Reimagine Tomorrow, destiné à amplifier les voix sous-représentées, a été supprimé. L’opportunisme économique de Disney, dans un contexte de montée de l’extrême droite, suscite des inquiétudes quant à son influence sur les imaginaires collectifs.
Date de publication
11/07/0001
Importance matérielle
pp.102-103