J ai embarqué à destination d Israël et j ai observé des visages, ridés, parfois plus âgés que l État lui-même. Celui d Amnon Weinstein, un luthier à l écoute des « sanglots longs des violons » des morts sans stèles, ou encore celui de Shlomo Balsam, un guide de Yad-Vashem qui transmet les destins des aînés qui ne sont plus. J ai observé l avant-bras tatoué de Noah Klieger, le boxeur d Auschwitz qui a été membre de l équipage de l Exodus, et les mains pleines d encre de l écrivaine Yaël Neeman, dont les souvenirs doux-amers du kibboutz sont devenus des best-sellers. J ai observé les cernes, mais aussi la lueur dans le regard des acharnés de la paix, comme celui de Robi Damelin, qui garde encore l espoir pour tous les enfants de la région alors que la guerre lui a arraché son fils. À l occasion des soixante-dix de l État d Israël, je leur ai tendu un micro. Peu à peu, leurs témoignages, leurs portraits et nos entretiens ont formé une mosaïque. Car leur Israël est fait du bleu et du blanc de leur drapeau, et d une palette de couleurs, de centaines d autres couleurs, comme autant de vécus et d opinions qui les différencient. Auprès d eux, Israël s est naturellement écrit au pluriel.