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La |Protection sociale est-elle devenue infinançable ?

En mars 2024 à Lille, Michel, 84 ans, est accompagné chez les Petits frères des pauvres, illustrant la montée des besoins liés à la dépendance. La branche autonomie de la Sécurité sociale, créée en 2021, n’a reçu aucun financement supplémentaire, alors qu’elle est appelée à devenir la plus coûteuse. Le débat sur le financement de la protection sociale est relancé, avec une conférence sociale annoncée par Emmanuel Macron et des travaux parlementaires en cours. Le déficit public atteint 5,8 % du PIB en 2024, la dette publique s’élève à 3 300 milliards d’euros, et le déficit de la Sécurité sociale est de 15,3 milliards d’euros. Les prestations sociales contribuent pour 2,4 points à la croissance des dépenses publiques en 2024, soit plus de 60 % de cette hausse. La Cour des comptes prévoit une nouvelle dégradation des comptes des retraites dès 2025, avec un déficit de 6,6 milliards d’euros. En 2022, les dépenses de protection sociale françaises représentaient 34 % du PIB, contre 28 % en moyenne dans l’Union européenne. Le vieillissement de la population et la baisse des naissances aggravent la situation, alors que la croissance prévue par le FMI est de 1,1 % en 2024 et 0,6 % en 2025. Emmanuel Macron vise 70 euros d’économies sur 1 000 euros de dépenses publiques d’ici 2029, en ciblant principalement les retraites, le chômage et la santé. Le déficit public est attribué à des facteurs conjoncturels et à des choix politiques depuis 2017, notamment la baisse des recettes publiques. Les mesures fiscales entre 2018 et 2023 ont réduit les recettes de 62 milliards d’euros (2,2 points de PIB). La substitution de compléments de rémunération exonérés de cotisations sociales a coûté 18 milliards d’euros à la Sécurité sociale en 2022, soit 8 milliards de plus qu’en 2018. La branche autonomie, bien que créée, n’a pas de financement dédié, ni augmentation de la CSG ou des cotisations. Les besoins sociaux vont croître, surtout pour les retraites, la santé et la dépendance, du fait du vieillissement et de la chronicisation des maladies. Selon France Stratégie, il faudra trouver entre 0,6 et 1,4 point de PIB d’ici 2040 pour financer le vieillissement, un effort comparable à celui réalisé depuis 2000. L’innovation médicale augmente aussi les coûts, contrairement à d’autres secteurs où le progrès technique les réduit. Les dépenses de santé augmentent plus vite que le PIB dans tous les pays, rendant illusoire l’objectif de les stabiliser à 10 points de PIB. Consacrer 14 points de PIB (376 milliards d’euros) aux retraites permet de maintenir le taux de pauvreté des seniors à 8 %, contre 12 à 16 % dans d’autres pays européens. Les leviers d’action sont : agir sur les dépenses, les recettes et la croissance. Côté dépenses, des mesures comme l’augmentation du ticket modérateur ou la baisse des indemnités journalières (plafonnées à 1,4 Smic depuis avril 2025, contre 1,8 auparavant) transfèrent le coût vers les assurés, sans résoudre les problèmes de fond. Des politiques structurelles, comme l’amélioration des conditions de travail ou la prévention, pourraient réduire les dépenses, mais leurs effets sont incertains. Sur les recettes, il est important d’avoir des recettes fléchées. La TVA sociale, qui consisterait à augmenter la TVA pour financer la protection sociale tout en baissant les cotisations, est jugée injuste car elle pèse davantage sur les classes populaires et n’est pas une recette dédiée. Elle ferait financer le modèle social français par les voisins européens, ce qui est contesté. Le débat oppose financement universel par l’impôt et financement assurantiel par les cotisations. Certains plaident pour un impôt spécifique dédié à la santé, une sorte de « CSG santé » ajustée chaque année. La croissance est un autre levier, mais des mesures trop brutales sur les dépenses ou les recettes pourraient avoir un effet récessif. Si la croissance reste faible pendant quinze ans, il n’y aurait pas de problème structurel de financement, mais la protection sociale ne peut pas accumuler des déficits indéfiniment. En 2020, le déficit était de 40 milliards d’euros, contre 15 milliards en 2024. Si la croissance reste durablement faible, il faudra arbitrer entre les bénéfices des entreprises, le pouvoir d’achat des ménages et la protection sociale, car tout ne pourra pas augmenter simultanément. L’absence de scénarios précis de croissance faible rend difficile une discussion démocratique sur les choix à opérer.
Date de publication
06/06/0001
Importance matérielle
pp.38-41