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L' |Économie allemande n'est pas sortie d'affaire
Bulletin : Alternatives économiques juin 2025
L’Allemagne dispose d’un plan de relance de 1 000 milliards d’euros, voté en mars, pour sortir d’un marasme économique qui dure depuis deux ans. Ce plan inclut un fonds spécial de 500 milliards d’euros à investir sur douze ans dans les infrastructures (transports, énergie, éducation, recherche, hôpitaux), dépenses qui ne seront pas comptabilisées dans le calcul du « frein à la dette » (Schuldenbremse), lequel limite le déficit public structurel à 0,35 % du PIB. Une réforme constitutionnelle permet aussi d’exclure du calcul du déficit les dépenses de défense supérieures à 1 % du PIB, alors que l’Allemagne doit renforcer son armée face à la précarité de la protection américaine depuis Donald Trump. Avec la possibilité pour les Länder de s’endetter, l’ensemble des mesures pourrait représenter jusqu’à 1 000 milliards d’euros de dépenses supplémentaires.
Ce changement marque une rupture avec la doctrine ordolibérale allemande, traditionnellement axée sur la rigueur budgétaire et l’épargne. Selon l’OFCE, cette impulsion budgétaire devrait générer un surcroît de PIB de 1 point, portant la croissance à 1,5 % en 2026. Sans ce plan, l’Allemagne aurait risqué une crise d’austérité sévère, car il aurait fallu réduire fortement la dépense publique ou augmenter les impôts pour respecter le cadre du frein à la dette, alors que l’économie est déjà en récession depuis deux ans et que la croissance prévue pour 2025 est quasi nulle.
Le contrat de coalition prévoit des mesures pour soutenir le pouvoir d’achat, comme l’augmentation du salaire minimum, mais leur application dépendra de la capacité de financement de l’État fédéral. La rigueur budgétaire reste donc présente, le frein à la dette continuant de s’appliquer à la majorité des dépenses publiques. L’utilisation d’un fonds spécial ne constitue pas un renforcement durable de l’investissement public, alors que l’Allemagne, dernière de la zone euro en matière d’investissements publics (2,3 % du PIB en moyenne entre 2000 et 2023), aura besoin de davantage de moyens dans les décennies à venir.
La coalition envisage un assouplissement plus large du Schuldenbremse, rendu possible économiquement par l’excès d’épargne du pays, mais politiquement difficile, certains parlementaires, notamment du parti de Friedrich Merz, y étant opposés. Cette opposition a pu contribuer à l’échec de Merz à se faire élire chancelier dès le premier tour au Bundestag le 6 mai 2025. Le gouvernement pourrait aussi être limité par les règles budgétaires européennes, qui imposent un déficit maximal de 3 % et une dette maximale de 60 % du PIB. Berlin a demandé à Bruxelles d’activer la clause dérogatoire du Pacte de stabilité pour pouvoir augmenter ses dépenses jusqu’à 1,5 % du PIB annuel pendant quatre ans. Même avec cette clause, les règles européennes continueront de limiter les dépenses prévues, sauf compensations par des économies ailleurs.
Le modèle économique allemand, fondé sur les exportations, montre des signes d’essoufflement. Depuis 2019, l’Allemagne perd des parts de marché à l’export, et en 2024, le commerce extérieur a contribué négativement à la croissance. Cette situation s’explique par une perte de compétitivité industrielle face à la Chine, illustrée par l’annonce de Volkswagen de supprimer 35 000 postes en Allemagne d’ici 2030. En 2024, 10,4 % des exportations allemandes étaient destinées aux États-Unis, exposant le pays aux nouveaux droits de douane annoncés par Donald Trump. Après une suspension de quatre-vingt-dix jours, Berlin espère un accord pour limiter les conséquences.
La coalition au pouvoir ne semble pas en mesure de résoudre les problèmes structurels de l’économie allemande, notamment le déclin du modèle exportateur et le vieillissement de la population, qui complique le recrutement dans l’industrie. L’avenir économique de l’Allemagne, qui représente 29 % du PIB de la zone euro, et de l’Europe dépendra de l’action du nouveau gouvernement.
Date de publication
06/06/0001
Importance matérielle
pp.50-51