Y a-t-il trop de chaînes d'info sur la TNT ?
Bulletin : Alternatives économiques juin 2025
En 2024, la part d’audience globale des chaînes d’information sur la TNT atteint seulement 8,5 %. Deux nouvelles chaînes, T18 (groupe CMI de Daniel Kretinsky) et Novol9 (émanation de Ouest-France), arrivent sur la TNT, remplaçant CS et NRJ 12, disparues en mars 2024 suite à la réorganisation décidée par l’Arcom. T18 se positionne sur les documentaires et débats, Novol9 promet de privilégier l’information de proximité. La TNT compte déjà quatre chaînes d’information en continu : CNews, BFMTV, LCI, France Info, auxquelles s’ajoute France 24 pour l’international.
Le marché publicitaire français est tendu : le chiffre d’affaires global de la publicité est passé de 14,3 milliards d’euros en 2022 à 14,9 milliards en 2023, mais la part de la télévision a diminué de deux points, tandis qu’Internet a progressé de trois points. L’Arcom prévoit que 65 % des recettes publicitaires nettes seront captées par les acteurs numériques en 2030, contre 52 % en 2022. Les chaînes d’information gratuites dépendent à 82 % de la publicité pour leur financement. Plus l’audience est élevée, plus les tarifs publicitaires augmentent.
CNews, propriété de Vincent Bolloré, est devenue en 2024 la première chaîne d’information avec 3,2 % de part d’audience en mars 2025, selon Médiamétrie. Son chiffre d’affaires publicitaire a augmenté de 50 % entre mars 2023 et mars 2024, la rendant rentable après des pertes annuelles de 5 à 7 millions d’euros en 2022 et 2023. Ce succès s’explique par un modèle à faible coût, privilégiant les débats et les invités non rémunérés, au détriment de la production d’information et des reportages. D’autres chaînes pourraient être tentées de copier ce modèle, alors que la concurrence s’intensifie avec l’arrivée de nouvelles chaînes et que la part d’audience globale reste faible.
LCI, qui avait augmenté son audience et son chiffre d’affaires en 2023 (43,3 millions d’euros, +27 %), est restée déficitaire à cause du coût de la couverture de la guerre en Ukraine et a depuis réduit sa couverture internationale. France Info TV souffre d’un manque de moyens et ne bénéficie pas du succès de la radio du même nom.
La consommation d’information baisse fortement : en 2024, seuls 32 % des Français se déclarent régulièrement actifs dans leurs pratiques informationnelles, soit une chute de 7 points par rapport à 2022. 26 % regardent quotidiennement les chaînes d’information, soit 11 points de moins qu’en 2022. Les réseaux sociaux sont les seuls à ne pas subir ce retrait. Les sujets d’actualité majeurs, comme la dissolution de l’Assemblée nationale, n’ont intéressé que 34 % des sondés. 80 % des Français se sentent impuissants face aux évolutions du monde, 83 % se désespèrent de l’être humain en regardant les actualités. L’information est jugée trop polarisée et déconnectée de la réalité vécue.
La confiance envers les médias d’information reste faible : 49 % des Français estiment qu’on peut leur faire confiance, un chiffre stable mais préoccupant. La concentration des médias entre les mains de grands industriels (Bolloré, Saadé, Kretinsky) soulève des questions sur l’indépendance éditoriale. Rodolphe Saadé, nouveau propriétaire de BFM, a averti qu’il n’accepterait pas d’attitude agressive envers l’actionnaire, ce qui complique le traitement de certains sujets.
L’Arcom tente de réagir en imposant dans ses conventions une distinction claire entre faits et commentaires, et l’expression de différents points de vue. Cependant, la guerre de l’attention pousse les chaînes à adopter les codes du divertissement, au détriment de l’information de fond. BFM a modifié sa grille en 2025, remplaçant une émission de débat par un grand JT de deux heures axé sur les faits.
Au niveau européen, le projet d’une chaîne d’information paneuropéenne a échoué : Euronews, revendue en 2022 à Alpac Capital, a accumulé plus de 180 millions d’euros de pertes depuis 1993 et réduit ses effectifs.
L’enquête « Fatigue informationnelle, vague 2 » (ObSoCo, Fondation Jean-Jaurès, Arte, décembre 2024) alerte sur un « exode informationnel » : le risque est la disparition d’une information indépendante, la concentration des sources et la fragmentation de la réalité perçue. Les évolutions récentes aux États-Unis, avec Donald Trump et Elon Musk, sont citées comme illustration de cette tendance.
Date de publication
06/06/0001
Importance matérielle
pp.54-57