Peut-on encore sauver l'océan ?
Bulletin : Alternatives économiques juin 2025
L’océan couvre les trois quarts de la surface de la planète, capte le CO2 et la chaleur excédentaires de l’atmosphère, régule le climat, produit 223 millions de tonnes de poissons, fruits de mer et algues par an, et génère un térawatt par heure d’énergie, avec un potentiel estimé à 130 fois supérieur, soit cinq fois la consommation mondiale d’électricité selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Près d’un tiers des hydrocarbures sont extraits en mer. Plus de 80 % des marchandises transitent par voie maritime, et en 2023, les touristes ont dépensé 1 500 milliards de dollars sur les littoraux. En 2020, le chiffre d’affaires du secteur maritime a atteint 2 600 milliards de dollars, soit deux fois plus qu’en 1995. En 2006, 151 millions de personnes travaillaient dans l’économie maritime, effectif réduit d’un tiers quatorze ans plus tard à cause de la pandémie de Covid-19.
La pollution marine est aggravée par des millions de tonnes de microplastiques et de microfibres textiles, qui perturbent la faune, notamment les mollusques filtreurs. La surpêche, souvent subventionnée, met en danger les populations de poissons et de céphalopodes : selon la FAO, deux tiers des stocks sont exploités au maximum de leur capacité de renouvellement, et la pérennité du dernier tiers est menacée. L’océan absorbe un quart des émissions de carbone, ce qui a augmenté son acidification de 26 % depuis le début de la révolution industrielle, menaçant le développement du phytoplancton et des animaux à squelette calcaire, essentiels à la chaîne alimentaire marine. Depuis la fin du XXe siècle, la température des océans a augmenté de 0,6 °C, bouleversant la répartition des espèces et modifiant la régulation thermique planétaire.
La Méditerranée, qui a déjà gagné 1 °C depuis 1993, est particulièrement vulnérable. Elle fait vivre 530 millions de personnes, accueille un tiers des touristes mondiaux, voit transiter 27 % du fret maritime et reste un des dix hotspots mondiaux de biodiversité. Cependant, plus de 100 millions de personnes sur sa rive sud souffrent de pénurie d’eau, de manque d’assainissement et de mauvaise qualité de l’air. Les experts du Plan bleu prévoient qu’en 2050, le climat méditerranéen aura gagné 2,3 °C par rapport au début du XXe siècle, provoquant une raréfaction critique de l’eau dans le sud et l’est, nécessitant le recours au dessalement. Le niveau de la mer devrait monter de 40 cm, affectant milieux naturels, agriculture, tourisme et populations, tandis que des espèces tropicales remplaceront la faune et la flore endémiques, avec des conséquences négatives pour la pêche.
Les populations des rives nord et sud continueront de diverger : au nord, la population sera plus âgée et moins nombreuse, tandis que le Maghreb et l’Égypte gagneront 150 millions d’habitants, entraînant des problèmes de ressources, d’alimentation, d’emplois, de conditions de vie et d’environnement. Entre 2014 et 2025, près de 32 000 migrants sont morts en traversant la Méditerranée centrale.
La pollution tellurique, provenant des fleuves et des métropoles côtières, déverse chaque année des centaines de millions de tonnes d’eaux usées et de déchets solides, créant une centaine de zones mortes en Europe du Nord, sur les côtes américaines et japonaises. Les accidents pétroliers sont devenus rares depuis les années 1970, loin des 287 000 tonnes de pétrole déversées lors de la collision de deux tankers en 1979 au large de Trinité-et-Tobago.
La gouvernance de l’océan est fragmentée entre plus d’une dizaine d’agences onusiennes sans vision commune ni efficacité. La Méditerranée est devenue depuis le 1er mai une zone de contrôle des émissions, plafonnant les oxydes d’azote, de soufre et les particules fines des navires, ce qui devrait éviter 1 000 morts prématurées par an. Les aires marines protégées couvrent actuellement 8,4 % de la surface de l’océan, avec un objectif de 30 % d’ici 2030. Le Centre national d’études spatiales (Cnes) présentera à Nice la Space4Ocean Alliance, une coalition d’institutions onusiennes et d’agences spatiales pour fournir des outils de gestion aux petits pays insulaires, notamment pour surveiller les aires protégées et l’évolution du trait de côte.
La coalition Ocean Rise and Coastal Resilience, coordonnée par la ville de Nice, vise à échanger les bonnes pratiques entre collectivités menacées par la montée des eaux. Le panel international pour la durabilité de l’océan (IPOS), réseau de scientifiques, sera lancé lors de l’UNOC 3 pour conseiller les gouvernements, comme l’expertise commandée par les Seychelles début 2025. La diplomatie française encourage la ratification de l’accord de l’OMC de 2022 sur les subventions à la pêche, qui pourrait entrer en vigueur si 110 pays le ratifient (il en manque une quarantaine).
L’initiative des 100 % du World Resources Institute propose aux États de s’engager à bien gérer l’intégralité de leurs eaux territoriales. La protection de la haute mer reste problématique : le 24 avril, Donald Trump a signé un décret autorisant l’extraction de minerais des grands fonds océaniques, en contradiction avec le droit international que les États-Unis n’ont jamais ratifié.
Date de publication
06/06/0001
Importance matérielle
pp.62-65